The 5th Set of Scotch Quadrille

S’il devait y avoir une danse à citer du XIXe siècle tant elle était populaire et dansée par tous, c’est bien le quadrille. Celui-ci, qui succède aux contredanses, connait un succès si important qu’on ne compte plus les chorégraphies différentes (par centaines), ni les partitions (par milliers).

Une des références majeures, que cela soit sur l’aspect chorégraphique ou dans sa structure musicale, est sans conteste le quadrille Français. Tout le monde, ou presque, le dansait dans les salons d’Europe et outre-Atlantique. Si bien, qu’évidemment chorégraphes et compositeurs ont aussi voulu laisser leurs signatures en créant de multiples variations – pour notre plus grand plaisir.

Ces quadrilles qui ont fait le bonheur (ou l’ennui) de tant de petits et grands danseurs aux XIXe siècle, sont aujourd’hui assidûment recherchés par les chercheurs et passionnés de danse historique. Et parfois, nous tombons par hasard sur un quadrille chorégraphié dont nous n’avions plus la trace, comme le 5th set of Scotch Quadrille de Joseph Binns Hart . 

Le Scotch Quadrille « surprise »

J’ai trouvé ce quadrille en 2014, par hasard dans un recueil de partitions, posé sur un piano lors d’un bal en Ecosse à la Gosford House. La couverture semblait nous appeler à l’ouvrir… Et bien entendu, la curiosité l’emporta. Après quelques partitions d’ensemble de valses dédicacées, je suis tombé sur un quadrille écossais inconnu au bataillon, sans même la mention d’une date. Surtout, il présentait quelque chose que je n’avais pas encore vu : en plus d’avoir une chorégraphie spécifique, il était écrit pour « piano forte ou harpe ».

Le fait qu’une harpe soit proposée pour jouer un quadrille m’a tellement interpellé, que je me suis simplement dit que ça serait génial de danser ce quadrille au son de cet instrument. Un défi, que j’ai mis quelques années à relever. Il fallait un ou une harpiste, mais je n’en connaissais pas encore. Alors, j’ai appris à en jouer… c’était le point de départ d’une aventure inattendue et passionnante.

Gosford House – Scotland

Joseph Binns Hart (1794-1844)

Joseph Binns Hart était l’un des compositeurs (et éditeurs) de quadrille les plus prolifiques d’Angleterre dans la première moitié du XIXe siècle. Il a publié près de 50 partitions (de quadrilles) à la fin des années 1820, et plus de 20 entre les années 1830 et 1840.

Les quadrilles de Hart présentent un intérêt particulier car, contrairement à beaucoup de ses contemporains, il a fourni plusieurs figures alternatives de quadrille, sans modifier la structure générale de la partition afin de permettre l’utilisation des figures originelles par ceux qui le souhaitaient.

Ce que nous verrons dans le 5th set of Scotch Quadrille que j’ai retrouvé et retravaillé.

Lithographie de M.Gausi de la couverture du 23th Set of Quadrille de 1823, présentant Joseph Hart au piano. L’inscription au dessous indique : « I just dropped in hearing Mr. Hart playing his favorite Twenty Third Set, Hope I don’t intrude »

Le 5th set of Scotch quadrille (presque) perdu

Le 5th Set of Scotch Quadrille a été composé par Joseph Binns Hart en 1825. Il était, semble-t-il perdu depuis, bien qu’une trace de celui-ci se trouve dans l’Harmonicon de 1825.

Il est dédié à Lady McFarlane, dont je n’ai trouvé aucune information, et est composé de 5 figures structurées exactement comme le Quadrille Français. A ceci près, que pour chacune de ces figures, il est proposé une variation chorégraphique spécifique dont nous reparlerons plus bas.

Ces diverses figures, à l’instar des autres « Scotch quadrilles » de Joseph Hart, reprennent des airs traditionnels écossais :

The 5th Set of Scotch Quadrilles – page de garde avec dédicace

Les 5 mélodies du 5th set of Scotch Quadrille

Détails à venir prochainement pour chaque morceaux

  • Miss Major MacLeod (Pantalon)
  • The Lass of Peaty’s Mill (Eté)
  • Logie o’Buchan
  • The Red Red Rose (Pastourelle)
  • The Bonnet Blue & Belted Plaidy (Finale)

Des nouvelles figures de quadrilles

En observant le répertoire de Hart, on observe qu’il aimait proposer de nouvelles figures dans ses quadrilles, principalement dans ses premiers Sets. Mais au fur et à mesure que les années 1820 avançaient, les chorégraphies se simplifièrent, ou, se répétèrent d’un quadrille à l’autre. Ceci est très probablement dû fait que le public ne put tout simplement pas apprendre systématiquement de nouvelles chorégraphies et préféra danser des figures qu’il connaissait déjà. C’est peut-être pour cette raison que Hart mit moins d’efforts dans ses derniers quadrilles.

Notons aussi que la plupart des « pas » utilisés par Hart étaient des pas du quadrille français, mais disposées de nouvelle manière. C’est ce que nous montre bien l’exemple ci-dessous, tiré du First Set of Scotch Quadrilles et repris dans d’autres par la suite.

First figue – First Set of Scotch Quadrilles – Hart

La « Scotchmania » des années 1820’s

De nombreux quadrilles ont été produits dans les années 1820 sur le thème de l’Écosse, avec des noms tels que Scotch Set , Royal Scotch, Highland ou Caledonians. Leur seule originalité est que les airs sont des airs écossais traditionnels. Mais au-delà de l’aspect mélodique, ce sont des quadrilles ordinaires qui n’ont rien « d’écossais » identifiable, la structure musicale est celle du Quadrille Français, et, nous l’avons dit, les chorégraphies proposées sont des réaménagements des figures du quadrille Français.

Malgré tout, comme nous le rapporte le Morning Post du 23 juin 1821 dans ses actualités musicales, le Scotch Quadrille plait : Les quadrilles écossais très admirés de Hart, avec de nouvelles figures, interprétées par M. J. Weippert et l’auteur aux bals de la noblesse, composés et arrangés pour le pianoforte ou la harpe, et respectueusement dédiées aux demoiselles Fitz-Clarence, par Joseph Hart

Les Quadrilles sont My Love She’s But A Lassie Yet (Pantalon), The Highland Laddie (L’Ete), Maggie Lawder (La Poule), Jenny Bawbee (La Pastorale), Duncan Gray ou encore Rob Roy Macgregor (La Finale).

Les figurines de ce quadrille sont originales et ont ensuite été réutilisés dans les quadrilles suivants : Hart’s Irish Set, Hart’s 21st Set, Hart’s 23rd Set, Hart’s 5th Scotch Set, Hart’s 7th Scotch Set, Hart’s 8th Scotch Set, Hart’s 26th Set et Hart’s 32nd Set.

The Caledonian Quadrilles of G.M.S. Chivers, c.1821

Mais, tout le monde n’y était pas favorable…

On ne peut pas plaire à tout le monde, comme le dit l’adage…

En effet, le fameux maître de danse Thomas Wilson (1774-1854) avait une mauvaise opinion de ces quadrilles, il écrivit dans son Dancer’s monitor (ou Danciad) de 1824 :

Il existe plusieurs sets de ce qu’on appelle des « Scotch Quadrilles », qui ne sont qu’écossais que de nom et à l’air, n’ayant aucune autre caractéristique nationale, étant composés des figures du quadrille Français. Afin de permettre à ceux qui connaissent la danse écossaise, de juger dans quelle mesure ils ont droit à l’appellation de Scotch, le lecteur peut voir ici les figures du Calédonians.

Wilson présente ensuite les figures du Caledonians quadrille, ainsi que ses propres quadrilles écossais avec des figures qu’il jugeait plus écossaises. Mais de l’avis de Wilson, Hart n’en faisait pas grand cas…

scotch quadrille vs caledonians – Wilson – Dancer’s monitor, London, 1824, p.190

Piano forte ou harpe ?

Le premier travail de reconstitution de ce quadrille fut d’analyser la musique et ensuite d’essayer de la jouer. Mais voilà, tous les quadrilles de Joseph Hart sont initialement créés et faits pour piano forte, étant lui-même pianiste de premier ordre. Cependant après quelques recherches, il s’avère qu’une grande partie de ses quadrilles sont proposés pour piano forte ou harpe, et beaucoup font mention de la flûte dans certaines figures.

D’ailleurs, pourquoi la harpe ?

Outre le fait qu’un piano ressemble à une harpe horizontale à cordes frappées et non pincées, la raison est bien plus pragmatique tout comme nous l’expose cet article dans The Athenaeum and Literary Chronicle de 1829 : 

This arrangement of Hart’s popular Quadrilles must be singularly useful and acceptable; for in large evening parties, where more ladies are assembled than can be formed into sets for dancing, and as all our accomplished countrywomen can play the harp or piano-forte, (or both,) all may be employed to the advantage of all, a convenience and pleasure we have satisfactorily experienced. The arrangement is unusually well made for the respective instruments (particularly the harp); and we hope this work will be followed up by an extensive continuation.

Cet arrangement des quadrilles populaires de Hart doit être singulièrement utile et acceptable ; car dans les grandes soirées, où plus de dames sont assemblées que ne peuvent être formés des quadrilles pour danser, et comme toutes nos compatriotes accomplies peuvent jouer de la harpe ou du piano-forte (ou des deux), tout peut être employé à l’avantage de tous, une commodité et un plaisir que nous avons expérimentés de manière satisfaisante. L’arrangement est exceptionnellement bien fait pour les instruments respectifs (en particulier la harpe) ; et nous espérons que ce travail sera suivi d’une longue continuation.

En effet, les jeunes filles de « bonnes familles » recevaient une instruction musicale, et la harpe en tant qu’instrument réputé « feminin » (drôle d’idée), y avait bien entendu toute sa place. Car, lors des soirées ou après-midis regroupant alors plus de femmes que d’hommes, il n’était pas surprenant que l’une d’entre elles, ou plusieurs, se place derrière le pupitre pour faire danser les invités.

D’un point de vu purement marketing, les partitions étant éditées puis vendues, proposer 2 instruments différents et bien entendu plus intéressant. Celles-ci étaient vendue 3 shillings.

Portrait de Miss Sophia Williams – British School – vers 1820

Harpe !

Le choix était déjà fait depuis longtemps, ce quadrille serait joué à la harpe.

Mais, en l’état, la partition ne permet pas une restitution dans son absolu totalité musicale. Après échanges avec des harpistes professionnels (classiques et celtiques), nous avons convenu qui faudrait faire des aménagements afin de pouvoir jouer cette partition avec les bons tempi sans abîmer la mélodie.

Au final, nous avons conservé la mélodie (bien entendu), fait quelques petits arrangements de la basse, et supprimé les deuxièmes voix qui nécessitaient l’ajout d’un troisième bras… la harpe ne permettant pas physiquement certains enchaînements possibles au piano… ou peut-être par quelques virtuoses, ce qui n’est – hélas – pas mon cas.

Dernière difficulté, les altérations de notes… Les harpes de l’époque disposaient déjà de pédales permettant d’altérer les notes avec les pieds. Or, je joue sur une harpe à leviers qui implique une action de la main pour changer la hauteur d’une note. Cette contrainte m’a forcé à modifier la ligne de basse lorsque le cas se présentait (figure 1 et 3). Certes, pour être absolument historique, il faudrait rejouer la partition sur une harpe à pédales du XIXe siècle. Mais pour cela, chaque chose en son temps.

Le Roi David jouant de la harpe – Dominiquin – 1619


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