L’orchestre du Titanic

Nous parlons souvent des passagers du RMS Titanic, de son capitaine et de sa fin tragique. A l’occasion d’un bal donné pour les 120 ans du Trois-Mats La Duchesse Anne amarée devant le Musée Maritime Portuaire de Dunkerque, j’ai souhaité mettre à l’honneur son orchestre qui a joué jusqu’à la dernière minute. Il était composé de 8 musiciens exceptionnels qui se devaient de connaitre les 352 morceaux officiels de la compagnie, sans compter les valses, polkas et marches, des Strauss, Waldteufel ou encore Gungl.

Qui étaient-ils ? C’est ce que nous avons voulu savoir en leur rendant hommage dans cet article.

Les archives dématérialisées d’aujourd’hui nous offrant la formidable possibilité de nous plonger dans des sources difficilement accessibles physiquement. La plus intéressante d’entre elle est sans conteste le livre des musiques officielles de la White Star Line, compagnie qui possédait – entre autres – le Titanic. Ce fut un élément central de mon travail de recherche chorégraphique et musical autour des « tubes » référencés par la White Star Line.

Un orchestre d’exception

Composition de l’orchestre du Titanic

L’orchestre du Titanic est un orchestre composé de huit musiciens, chargé de jouer à bord du paquebot transatlantique Titanic lors de sa traversée inaugurale en avril 1912.

Dirigé par Wallace Hartley (violon), qui en a supervisé la formation, il comprend également Theodore Brailey (piano), John Hume (violon), Percy Taylor (violoncelle), J.F Clarke (contrebasse), John Woodward (violoncelle), Roger Bricoux (violoncelle) et Georges Krins (violon). Tous sont britanniques à l’exception des deux derniers (respectivement français et belge) et ont joué pour de prestigieux orchestres, sur terre et mer. Ils sont engagés par la Black Talent Agency, qui dispose du monopole des orchestres de paquebots.

Particulièrement appréciés par les passagers, l’orchestre joue sous forme d’un quintette et d’un trio, a des emplacements différents dans le Titanic.

Notons que les musiciens ne font pas partie de l’équipage du navire, et voyagent comme passagers de deuxième classe.

Orchestre à la mémoire extraordinaire

Les musiciens sont tenus de connaître par cœur tous les morceaux contenus dans la sélection imposée par la White Star Line, de façon à pouvoir les jouer sur demande des passagers Le répertoire précis est peu connu. Il est certain qu’un livre de musique de la compagnie, produit par la Black Talent Agency, devait être maîtrisé par les musiciens et était mis à la disposition des voyageurs. Le nombre de 352 morceaux est généralement retenu, cependant, la composition précise du répertoire de l’orchestre du Titanic et plus précisément de la sélection de la White Star Line est inconnue.

Toutefois, la sélection pour l’Olympic – petit frère du Titanic – est bien connue, et fort probablement identique à celle de son homologue. Nous y trouvons valses, polkas, marches, One Step, Two Step, Cake walks et des oeuvres plus lyriques. De plus, les témoignages des rescapés permettent de s’en faire une idée des différentes œuvres qui avaient le plus de succès, dont notamment la valse « Les songes d’Automnes » d’Archibald Joyce.

Une fin héroïque

L’orchestre gagne ses lettres de noblesse dans la nuit du 14 au 15 avril 1912, lorsque le paquebot fait naufrage après avoir heurté un iceberg.

Tous les musiciens monteront en haut du Grand escalier de 1ère classe, munis de leur gilet de sauvetage, pour jouer des airs gais. Jusqu’à ce que l’inclinaison du bateau les pousse à sortir sur le pont des embarcations. C’est la première fois que les huit musiciens jouent ensemble.

Les musiciens jouent ainsi jusqu’au bout pour prévenir les effets de panique. L’héroïsme de l’orchestre est ainsi entré dans la légende, ainsi que le dernier morceau joué. Les témoignages indiquent que cela aurait été « Plus près de toi, mon Dieu ».

Les huit musiciens périssent dans le naufrage. Les corps de trois d’entre eux sont par la suite repêchés par le Mackay-Bennett, les autres n’ayant pas été retrouvés ou du moins identifiés. Leurs funérailles, en particulier celles de Hartley, sont suivies par de grandes foules. Le public et la presse connaissent un fort engouement pour l’héroïsme de l’orchestre, qui est commémoré dans plusieurs monuments, et les musiciens du Titanic deviennent le symbole d’une jeunesse qui retrouve des valeurs saines.

La Black Talent Agency – Pourvoyeuse d’orchestres

Black Talent Agency, une agence de Liverpool qui gère alors l’animation musicale de nombreux paquebots et a l’exclusivité dans ce domaine auprès de la compagnie White Star Line, En partie grâce aux prix qu’elle pratique.

Dirigée par les frères Charles et Frederick Black, tout d’abord musiciens de métier, leur compagnie proposes ses orchestres à de grands hôtels et à de prestigieuses compagnies, comme la White Star, la Cunard Line, la Royal Mail Steam Packet Company et l’American Line.

Toutefois, à jouer sur les prix, on joue aussi sur le traitement des musiciens… Et le Black Talent Agency n’est pas trop aux petits soins avec eux…

A tel point qu’elle attire la colère de l’Amalgamated Musicians Union (AMU), l’un des principaux syndicats de musiciens britanniques de l’époque. Cette colère prend un nouveau tournant après le naufrage du Titanic, qui met en lumière leurs pratiques, et pousse l’AMU à demander aux musiciens de choisir de quitter l’agence des frères Black, ou bien le syndicat.

Ci-dessus le Livret musical de la White Star Line

Roger Bricoux, le plus jeune membre de l’orchestre du Titanic

Pour terminer cet article, nous parlerons du violoncelliste bourguignon Roger Bricoux, le seul musicien français à bord, et plus jeune membre de l’orchestre.

Né le 1erjuin 1891 à Cosne-sur-Loire, dans la Nièvre, il passe son enfance à Monaco où son père, Léon, était premier cor dans l’orchestre du Prince Charles III. De 1906 à 1909, il suit des études au conservatoire de Bologne en Italie où il obtient le 1er prix de violoncelle. Il est ensuite admis au Conservatoire de Paris de 1909 à 1910. En 1910, il rejoint l’orchestre du Grand Central Hotel à Leeds (Angleterre). À la fin de 1911, il revient à Lille, pour jouer dans les orchestres des grands hôtels. Le 30 décembre 1911, ayant des problèmes d’argent (son père est malade), il décide de repartir pour l’Angleterre.

Embauché par la C.W. & F. N. Black, une entreprise spécialisée dans le recrutement des musiciens à bord des paquebots, il joue en février 1912, sur le Carpathia.

Roger Bricoux, violoncelliste français du RMS-Titanic

Retenu ensuite pour faire partie du trio lors du voyage inaugural du Titanic, le jeune musicien quitte New York à bord du Mauretania, débarque à Liverpool, prend le train pour Southampton, et embarque sur le Titanic.

Il a 20 ans lorsqu’il embarque sur le Titanic, et jouera exclusivement sur le pont A, dans la salle de réception, à l’extérieur du Café Parisien et du restaurant À la Carte, accompagné d’un pianiste et d’un violoniste. Le corps de Roger Bricoux n’a jamais été retrouvé. Sa mort n’ayant pas été signalée à l’état-civil, il sera même mobilisé le 1er octobre 1912, et déclaré « déserteur » en 1913 par l’armée française.

Le 1er février 1917, un certificat fait officiellement état de son décès.


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