La question de l’origine de la célèbre Baby Polka m’est venue en plein bal folk en avril 2022. Dans une partie dédiée aux enfants, la danse en question reprenait le principe des claquements de mains et de l’avertissement, typiques de cette danse dite « enfantine », que l’on retrouve dans la Baby Polka de François Paul de 1885.
En y regardant de plus près, cette danse qui fait partie de la catégorie de danses à « claques » et « mimes », dites « Klàtschtänze » ou « Winktänze » a un passé riche et un présent toujours vivant en Europe.
La Baby Polka de François Paul – 1885
Le premier élément sur la Baby Polka est qu’il s’agit en fait d’une danse folklorique plus ancienne appelée La Badoise, pour laquelle le compositeur-chorégraphe français François Paul semble avoir soit écrit une nouvelle musique, soit adapté un air folklorique dont il s’attribua la chorégraphie. (Chose qu’il fera avec la Sir Roger of Coverley pour sa Gigue anglaise croisée en 1886).
Éditée en 1885, la Baby-Polka semble donc être simplement le nom de la composition de Paul, qui est devenue fortement associée à la danse folklorique en France et ailleurs, bien que ce ne soit pas la seule mélodie qui lui soit attachée de nos jours. (Déjà en 1890, le compositeur H. Verley publiait une nouvelle version)
Son nom « Baby polka », appelé aussi Polka des bébés par endroit, a probablement été choisi en raison du fait qu’il s’agit d’une danse pour le moins « enfantine » qui entre quelques tours de polka marque un arrêt des 2 partenaires qui frappent dans les mains et se donnent un petit avertissement. Caractéristique spécifique très visible sur la couverture de la partition de F.Paul.
Notons d’ailleurs qu’il est parfois fait mention de « bal des bébés » au lieu de bal pour enfants ou même « bébés » au lieu d’enfants. Comme dans l’exemple ci-contre où 150 « bébés » ont dansé pendant 3 heures.
Badoise ou Baby Polka, quelle origine chez les maîtres de la fin du XIXe siècle ?
Même si le nom Baby-Polka semble avoir fusionné avec Badoise, tous les contemporains de F.Paul s’accordent à dire que l’origine de cette danse est germanique. D’ailleurs, Le mot « badoise » fait référence à la région allemande de Baden, ou peut-être à la ville thermale de Baden-Baden, il est donc parfaitement logique que les écrivains français attribuent l’origine de la danse à l’Allemagne
Chez Giraudet : il cite la Baby Polka sans l’apprécier
Eugène Giraudet, dans le Tome I son traité de danse indique que « La Badoise est d’origine allemande », sans étayer, alors qu’on le connait bavard quand un sujet l’intéresse (ou qu’il parle de lui…)
Desrat : plus évasif sur son origine
Plus tard, G. Desrat, dans son Dictionnaire de la Danse (1895), note qu’elle « paraît être d’origine allemande », bien qu’il note également sa ressemblance avec une danse d’enfants russe, « la menace » (p225 du même livre). Toutefois, il cite clairement avoir vu dansée cette danse vers 1880 chez Mme Gueneau de Mussy.
« …cette danse avait été importée en France par Mme. Gueneau de Mussy, femme du comte Gueneau, le célèbre médecin de la famille d’Orléans. Vers 1880, je la vis danser chez elle pour la première fois. »
Probablement la même danse, mais, il maintien le nom de « Badoise » et pas « Baby Polka », soulignant ici sa position quant à l’origine de cette danse qui n’est pas de F.Paul.
Lopp : plus critique de ses contemporains
Washington Lopp, dans La Danse (1903), affirme avoir cherché, en vain, l’origine de la Baby Polka. Et en profite pour rappeler que les différents chorégraphes n’ont pas la paternité de cette danse et que son origine n’est pas figée dans le temps.
La polka Bébé, une des premières danses champêtres connues, nous vient de la Bohême ; mais à quelle époque remonte son origine ? On n’en sait rien, elle se perd dans la nuit des temps. C’est en vain que j’ai fait des recherches, nulle trace ; seule une tradition que j’ai pu trouver et d’après laquelle la polka Bébé aurait été composée par une maitresse d’école qui l’aurait fait danser par ses élèves devant un haut personnage pour fêter son passage.
Ci-dessous la traduction en français de la chanson Tchèque qui est toujours enseignée aux enfants (avec quelques modifications)
Des choux, des choux,
Elle a cueilli des feuilles, des petites feuilles.
Jojo est arrivé,
Et a piétiné son petit panier.
Tu, tu, tu, tu, tu, tu,
Tu vas le payer !
Je ne vais pas le payer, moi, moi.
Je préfère aller à la guerre.
Ne va pas à la guerre,
Tes parents ne veulent pas.
Je le ferai, je le ferai,
J’irai à la guerre.
Quel succès pour la Baby Polka ?
Pour aller à l’essentiel, la Baby Polka fait un carton, jusqu’à être imprimée sur un calendrier de 1900 (voir en haut de l’article).
Mais ce n’est pas nouveau, elle avant à peine 3 ans que le 28 décembre 1888, le Petit Journal faisait mention de la « gracieuse Baby Polka » et toutes les nouvelles danses « goûtées » de François Paul. Et ce n’était qu’un début.
Chez les enfants
Cette danse enfantine a connu, et connait toujours beaucoup de succès. Nous trouvons une multitude de mentions de cette danse dans les programmes de bals pour enfants :
- Ici en le 27 août 1893, lors d’un bal d’enfant au Casino de Dieppe où officiaient M. et Mme Paul, tout de même ! Elle est aussi citée en pour un bal d’enfants 1888, lors d’un grand Cotillon d’enfants en 1894, ou même en 1909.
- Jusqu’en 1939 lors du bal de la maternelle de Chagny qui eu lieu le 12 mars 1935 (Courrier de Saône-et-Loire, 12 mars 1935)
Dans les bals mondains
Un succès important, mais moins fort que pour les enfants évidemment. Nous la trouvons toutefois annoncée au programme d’un bal à Amiens le 9 décembre 1900 (Le Progrès de la Somme, 8 décembre 1900).
Chez les musiciens
Le succès est aussi présent, nous trouvons la Baby Polka dans plusieurs programme de concert, ainsi que dans une émission de radio de 1949 ! (Les Ondes, 1949)
Chez les maîtres de danse
Bien que Giraudet ne semble pas très friand de cette danse, « n’est pas très goûtée chez nous. Cependant, je dois ajouter que quelques sociétés l’ont adoptée. » celle-ci est relayée dans de nombreux manuels de danse.
Aux Etats-Unis
M.B Gilbert dans Round Dancing (1890) la reprend telle quelle dans son livre, sans même la traduire. Elle devait surement être arrivée depuis peu aux USA…D’ailleurs, il la reprendra en 1913 dans School Dances, en en faisant une danse pour enfant.
« In beginning, the children dance the glide polka, in couples, for sixteen measures. »
La Baby Polka en Italie :
Elle est présente sous le nom de Badoise en Italie dans Il Ballo, Storia Della Danza, de Gavina (1898).
Et nous le retrouvons encore chez Lussan-borel et Bottalo en France. Dans certains cas, nous pouvons constater quelques variations dans la chorégraphie, mais sans en dénaturer la structurer globale en 2 parties : 1 partie dansée, 1 partie « jouée »
Mais qu’en est-il chez nos voisins allemands ?
Nous ne trouvons pas spécifiquement de “Baby Polka” ou Badoise, mais les danses à claquement de mains étaient très présentes dans les chansons enfantines.
Les “Klatschtänze” dans les chansons et les danses enfantines
Il existe plusieurs chansons enfantines germaniques contenant des refrains à claquement de mains. En plus de la chanson tchèque vue plus haut, prenons le cas de la chanson pour enfants « Brüderchen komm tanz mit mir » (Viens danser avec moi) qui est apparue en Thuringe vers 1800.
Cette comptine – encore enseignée aux enfants en Allemagne avec ou sans danse – était si courante au XIXe siècle qu’elle fut intégrée dans un opéra.
L’opéra « Hansel et Gretel » et « Brüderchen komm tanz mit mir »
Engelbert Humperdinck (1854 – 1921) a composé l’opéra « Hänsel et Gretel » à partir de cette chanson pour enfants « Brüderchen komm tanz mit mir » (Viens danser avec moi), vers 1890. Sa sœur, Adelheid Wette, lui a demandé de mettre en musique certains textes et Humperdinck a utilisé les chansons enfantines/folkloriques allemandes les plus connues pour composer les mélodies.
En 1893, la première représentation de l’opéra a eu lieu à Weimar, en Thuringe.
La « Tyrolienne de l’Académie »
Cette danse de 1885 d’Amint Freising utilise également dans une figure « les claquements de mains du cavalier dans les deux mains » pendant que la dame tourne.
Voir ci-contre la reconstitution de cette danse par la chorégraphe allemande Sylvia Hartung, exécutée par Felix et Alexandra (à partir de 2:35 min avec les claquements de mains du cavalier)
Des racines plus profondes dans les danses folkloriques/rurales
En Allemagne
Selon Änne Goldschmidt dans Handbuch des Deutschen Volkstanzes, 2001.
« Dans la danse populaire, on trouve par exemple la danse des claquements de mains « Drei lederne Strümpf » (également appelée danse de Fischingen) publiée en 1819 dans le Voralberg, en Autriche, et en 1861 dans la revue allemande « Bavaria ». Les motifs de claque et de frappe se trouvent toutefois déjà dans un recueil de contredanses paru en 1758. Le premier couplet de danse sur « Drei lederne Strümpf » pourrait avoir été composé par les valets de ferme dès le XVIe siècle. La majorité des autres danses de claque n’ont été écrites qu’au début du 20e siècle. On ne sait rien de l’âge de ces danses. »
Mais aussi chez Thoinot Arbeau…
A ce titre, nous trouvons aussi chez Thoinot Arbeau dans l’Orchesographie de 1546 un mouvement de frappe de mains dans le Branle de Lavandières
Le cas de la Fricassée
Pour terminer, citons aussi la danse traditionnelle la Fricassée qui tire probablement ses racines du moyen-âge. Elle a connu sur la fin du XVIIIe siècle une modification de version, plus légère et notamment dansée par les enfants. Une version qui ressemble à la Baby Polka et qui est toujours dansée par les groupes de danse folkloriques du Sud de la France.
Jean-Marie Guilcher nous cite cette danse dans son ouvrage : La Tradition de danse en Béarn et Pays Basque Français », Paris, 1984. Où en avril 1772, la troupe d’enfants du sieur Audinot, invité par Mme Dubarry, se produit devant le roi. Ils exécutent « la Fricassée, contredanse très polissonne. Madame la comtesse Dubarry s’amusait infiniment et riait à gorge déployée. Le roi souriait quelquefois »
On retrouve la Fricassée chez Eugène Giraudet dès 1880, ainsi que l’enchaînement des mouvements, et même une version appelée « Quadrille de la Fricassée » par MIle Bernay, en 1880. Elle est notamment citée par E. Giraudet.
Finalement, la Fricassée peut-être interprétée comme une comme toute scène de ménage (le terme fricasseio en occitan signifie non seulement un plat, mais aussi une dispute), la danse commence par des remontrances qui s’enveniment… Bien sur les deux amoureux finiront par se réconcilier et s’embrasser à la fin comme il se doit.
Finalement, qu’en conclure ?
Il semble assez clair que la Baby Polka tire ses origines dans les danses à claquements de mains Bohémiennes et qu’elle vit toujours ! Que cela soit dans les chansons pour enfants, dans les bals folk ou encore dans les bals de reconstitution, cette danse prouve que petits et grands peuvent (toujours) s’amuser avec quelques pas de polka et un petit jeu entre les partenaires de danse.
Toutefois, il faut mettre en exergue le fait que bien souvent les danses du folklore qui une fois passées entre les mains de compositeurs ou chorégraphes célèbres dans les salons, deviennent à la mode et se diffusent largement (sous un nouveau nom ou pas).
Le cas de l’origine d’une danse comme la Badoise/Baby Polka n’est pas isolé et n’a pas de limite… pour n’en citer que deux du XIXe siècle qui sont toujours célèbres, prenons :
- la polka dont l’origine faisait déjà débat en 1844, qui a connu une multitude de variations…
- Et le Tango qui contrairement à d’autres danses venues de la « campagne » a connu et connait toujours un succès grandissant sous de multiples formes.
Le plus important au final est le plaisir que nous prenons à les danser… C’est la principal raison de leur succès.
Remerciement
Je remercie tout particulièrement Sylvia Hartung pour son aide précieuse sur la partie allemande, ainsi que Chantal Abad pour les informations sur la Fricassée
Et, Kristyna Thoor pour sa traduction du tchèque.